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Le pacifisme libéral

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Le pacifisme du futur doit être résolument fondé sur la défense d’un ordre économique libéral bâti sur la propriété privée des moyens de production. C’est en ce sens qu’il faut comprendre cette célèbre phrase de Mises : « Quiconque souhaite la paix entre les peuples doit combattre l’étatisme. »


Le pacifisme libéral

par Ludwig von Mises

(extrait de Nation, État et Économie (1919), éditions de l’Institut Coppet, 2018)

 

D. Le pacifisme

Les rêveurs et les humanitaristes ont depuis longtemps fait campagne en faveur de l’idée d’une paix universelle et éternelle. Après la misère et la détresse infligées par les guerres aux individus et aux peuples, survint un désir profond d’une paix qui ne devrait plus jamais être à nouveau perturbée. Les utopistes ont dépeint les avantages de l’absence de guerre avec les couleurs les plus magnifiques et ont demandé aux États de s’unir dans une alliance durable et comprenant le monde entier en faveur de la paix. Ils en appellent à la hauteur d’âme des empereurs et des rois ; ils se réfèrent aux commandements divins et promettent une gloire éternelle, dépassant même de loin celle des grands héros de guerre, à quiconque voudrait réaliser leurs idéaux.

L’Histoire a oublié ces propositions de paix dans son programme. Elles n’ont jamais été autre chose que des curiosités littéraires que personne n’a jamais pris au sérieux. Les puissants n’ont jamais songé à renoncer à leur pouvoir ; il ne leur est jamais venu à l’esprit de subordonner leurs intérêts à ceux de l’humanité, comme le demandaient les rêveurs naïfs.

Cet ancien pacifisme était inspiré par des considérations générales humanitaires, par l’horreur des effusions de sang. Il faut juger tout à fait différemment le pacifisme de la philosophie des Lumières, du droit naturel, du libéralisme économique et de la démocratie politique, cultivé depuis le XVIIIe siècle. Ce dernier ne provient pas d’une opinion demandant à l’individu et à l’État de renoncer à la poursuite de leurs intérêts terrestres en vue de la renommée ou dans l’espoir d’une récompense dans l’au-delà. Il ne constitue pas non plus un postulat distinct sans lien organique avec les autres exigences morales. Au contraire, ce pacifisme est une conséquence logiquement nécessaire de tout l’édifice de la vie sociale. Celui qui rejette, du point de vue utilitariste, la domination de certains sur d’autres et qui réclame pour les individus et les peuples un droit complet à l’autodétermination refuse également de ce fait la guerre. Celui qui a fait de l’harmonie des intérêts bien compris de toutes les couches d’une nation et de toutes les nations entre elles la base de sa vision du monde ne peut plus trouver de fondement rationnel à la guerre. Celui auquel même les tarifs protecteurs et les interdictions d’exercer une profession apparaissent comme des mesures néfastes à tous peut encore moins comprendre que l’on puisse considérer la guerre comme autre chose qu’une entreprise de destruction et d’annihilation, bref comme un mal qui frappe tout le monde, vainqueurs comme vaincus. Le pacifisme libéral exige la paix parce qu’il considère la guerre comme inutile. C’est une idée que l’on ne peut comprendre que du point de vue de la doctrine du libre-échange telle qu’elle fut développée dans la théorie classique de Hume, Smith et Ricardo. Celui qui veut préparer une paix durable doit, comme Bentham, être libre-échangiste et démocrate, œuvrer fermement à éliminer toute domination politique par la mère patrie dans les colonies et se battre pour la pleine liberté de circulation des personnes et des biens[1]. Telles sont les conditions préalables à la paix éternelle, il n’y en a pas d’autres. Si l’on veut faire la paix, il faut écarter la possibilité de conflits entre les peuples. Seules les idées libérales et démocratiques ont le pouvoir de l’accomplir[2]. Mais dès que l’on abandonne ce point de vue, il n’est plus possible d’opposer un argument valable à la guerre et au conflit. Si l’on pense qu’il existe des antagonismes de classe irrémédiables entre les couches de la société et qu’il est impossible de les résoudre en dehors de la victoire par la force d’une classe sur les autres, s’il l’on croit qu’il ne peut y avoir de contacts entre les diverses nations autres que ceux où l’une gagne ce que l’autre perd, il faut alors bien entendu admettre que les révolutions intérieures et les guerres internationales ne peuvent être évitées. Le socialiste marxiste rejette la guerre internationale parce que les ennemis sont pour lui les classes possédantes de sa propre nation et non les autres nations. L’impérialiste nationaliste rejette la révolution parce qu’il est convaincu de la solidarité d’intérêts de toutes les couches de sa nation dans la lutte contre l’ennemi étranger. Ni l’un ni l’autre ne sont des adversaires de l’intervention armée, ni l’un ni l’autre ne sont des adversaires des bains de sang comme le sont les libéraux, qui n’approuvent que la guerre défensive. Rien n’est par conséquent de plus mauvais goût pour un socialiste marxiste que de fulminer contre la guerre, rien n’est de plus mauvais goût pour un chauvin que de fulminer contre la révolution, quand cela se fait pour des considérations philanthropiques se souciant du sang innocent versé à cette occasion. Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ?[3]

Le libéralisme ne s’oppose pas à la guerre agressive pour des raisons philanthropiques mais pour des questions d’utilité. Il s’y oppose parce qu’il considère la victoire comme nocive et ne souhaite aucune conquête parce qu’il la considère comme un moyen non adapté à la réalisation des buts ultimes qu’il poursuit. Ce n’est pas par la guerre et la victoire, mais uniquement par le travail qu’une nation peut créer les conditions nécessaires au bien-être de ses membres. Les nations conquérantes finissent par échouer, soit parce qu’elles sont vaincues par des nations plus fortes, soit parce que la classe dirigeante est culturellement ensevelie par ses sujets. Les peuples germaniques ont déjà autrefois conquis le monde, et pourtant ils ont fini par perdre. Les Ostrogoths et les Vandales disparurent lors des combats, les Wisigoths, les Francs et les Lombards, les Normands et les Vikings furent victorieux dans la bataille mais furent culturellement vaincus par leurs sujets : eux, les vainqueurs, adoptèrent la langue des vaincus et furent absorbés en leur sein. Tel est l’une des deux destinées de tous les peuples dominateurs. Les seigneurs disparaissent, les paysans restent ; comme le dit le chœur de l’Épouse de Méssine : « Les conquérants étrangers vont et viennent ; nous obéissons mais restons en place. » À long terme le glaive se révèle ne pas être le moyen le plus adapté pour obtenir la large dissémination d’un peuple. Telle est « l’impuissance de la victoire » dont parle Hegel[4]. [5]

Le pacifisme philanthropique veut abolir la guerre sans se soucier des causes de celle-ci.

On a proposé de régler les litiges entre nations par le biais de tribunaux d’arbitrage. De même que l’auto-défense n’est plus permise dans les rapports entre individus et qu’à l’exception de cas exceptionnels seule la personne ayant subi un dommage a le droit d’avoir recours aux tribunaux, les choses devraient également se passer ainsi entre les nations. Dans ce cas aussi la force devrait céder le pas à la loi. Cela suppose qu’il n’est pas plus difficile de trancher pacifiquement un litige entre des nations que ce ne l’est entre des individus membres d’une même nation. Il faudrait rapprocher les adversaires de ce règlement des conflits entre nations des seigneurs et des combattants féodaux, qui s’opposèrent eux aussi autant qu’ils le purent à la juridiction de l’État. Une telle résistance devrait être simplement supprimée. Si cela avait déjà été fait il y a quelques années, la [Première] Guerre mondiale et toutes ses tristes conséquences auraient pu être évitées. D’autres avocats de l’arbitrage entre États ont des exigences moins fortes. Ils ne souhaitent pas introduire de manière obligatoire l’arbitrage, au moins dans le futur immédiat, pour tous les litiges mais uniquement pour ceux qui ne concernent ni l’honneur ni les questions de survie des nations, c’est-à-dire uniquement pour les cas les moins importants, alors que pour les autres l’ancien mode de décision qu’est le champ de bataille serait maintenu.

C’est une illusion que de croire que le nombre des guerres pourrait être réduit de cette façon. Depuis déjà des décennies les guerres ne sont plus possibles que pour des motifs importants. Il est inutile de le confirmer en citant des exemples historiques ou même une longue explication. Les États princiers déclenchaient la guerre aussi souvent que le réclamaient les intérêts des princes cherchant à étendre leur pouvoir. Dans le calcul du prince et de ses conseillers, la guerre n’était qu’un moyen comme un autre, détaché de toute considération sentimentale pour les vies humaines qu’elle mettait en jeu. Ils pesaient froidement les avantages et les inconvénients de l’intervention militaire comme un joueur d’échecs qui réfléchit à son coup. La route des rois passait sur les cadavres, au sens littéral du terme. Les guerres n’étaient pas déclenchées pour des « raisons futiles », comme les gens ont l’habitude de dire. La cause de la guerre était toujours la même : l’appétit de pouvoir des princes. Ce qui apparaissait superficiellement comme la cause de la guerre n’était qu’un prétexte. (Souvenez-vous, par exemple, des Guerres de Silésie de Frédéric le Grand). L’ère de la démocratie ne connaît plus de guerres de cabinet. Même les trois puissances impériales européennes, qui furent les dernières représentantes de la vieille conception absolutiste de l’État, n’avaient plus depuis longtemps déjà la puissance pour déclencher de telles guerres. L’opposition démocratique intérieure était déjà trop forte pour le permettre. Depuis que le triomphe de la conception libérale de l’État a mis le principe des nationalités sur le devant de la scène, les guerres ne sont plus possibles que pour des raisons nationales. Cela ne put être changé ni par le fait que le libéralisme fut mis sérieusement en péril par les progrès du socialisme, ni par le fait que les vieilles puissances militaires conservaient encore leur hégémonie en Europe centrale et orientale. Que l’on ne puisse plus revenir en arrière sur ce point est un succès pour la pensée libérale et ceux qui insultent le libéralisme et les Lumières ne devraient pas l’oublier.

Que la procédure d’arbitrage doive être choisie pour régler les litiges moins importants entre les nations ou que l’on laisse des négociations entre parties concernées en venir à bout est une question qui nous intéresse moins, aussi importante soit-elle par ailleurs. Il convient seulement de noter que tous les traités d’arbitrage débattus au cours des dernières années semblent ne convenir que pour régler des questions moins importantes et que jusqu’à présent toutes les tentatives d’étendre la portée de l’arbitrage international ont échoué.

Si l’on prétend que véritablement tous les litiges entre les peuples peuvent être réglés par des tribunaux d’arbitrage, de sorte que la guerre en tant que moyen de décision puisse être totalement éliminée, alors il faut remarquer que toute administration judiciaire suppose tout d’abord l’existence d’un droit universellement reconnu et ensuite la possibilité d’appliquer les articles de loi aux cas individuels. Aucune de ces deux hypothèses ne vaut pour les conflits entre nations dont nous parlons. Toutes les tentatives de créer un véritable droit international, grâce auquel on pourrait trancher les litiges entres les nations, ont échoué. Il y a une centaine d’années la Sainte Alliance essaya d’élever le principe de légitimité en droit international. Les possessions des princes du moment devaient être protégées et assurées à la fois contre les autres princes et aussi, conformément aux idées politiques de l’époque, contre les réclamations des sujets révolutionnaires. Les causes de l’échec de cette tentative n’ont pas besoin d’être recherchées pendant longtemps tant elles sont évidentes. Et pourtant les gens semblent aujourd’hui enclins à renouveler encore une fois la même tentative en créant une nouvelle Sainte Alliance sous la forme de la Société des Nations de Wilson. Le fait que ce ne sont plus les princes mais les nations qui cherchent à assurer leurs possessions actuelles, est une différence qui ne modifie pas l’essence du problème. Le point crucial est que ces possessions sont assurées. Il s’agit, comme il y a cent ans, d’une partition du monde qui prétend être éternelle et dernière. Elle ne durera toutefois pas plus que la précédente et apportera, tout comme elle, sang et misère à l’humanité.

Alors que le principe de légitimité tel que le comprenait la Sainte Alliance était déjà ébranlé, le libéralisme proclama un nouveau principe en vue de réglementer les relations internationales. Le principe des nationalités semblait signifier la fin de tous les conflits entre les nations ; il devait être la norme suivant laquelle tout litige devait être pacifiquement résolu. La Société des Nations de Versailles adopte également ce principe, même si ce n’est que pour les nations européennes. Pourtant, il oublie en cela que l’application de ce principe là où des peuples différents vivent ensemble de manière entremêlée ne fait qu’attiser davantage les conflits entre les peuples. Il est encore plus grave que la Société des Nations ne reconnaisse pas la liberté de circulation des hommes, que les États-Unis et l’Australie aient encore le droit d’empêcher l’arrivée d’immigrants non souhaités. Une telle Société des Nations dure aussi longtemps qu’elle a le pouvoir de résister face à ses adversaires, son autorité et l’efficacité de ses principes sont basées sur la force, devant laquelle les désavantagés doivent céder mais qu’ils ne reconnaîtront jamais comme juste. Les Allemands, les Italiens, les Tchèques, les Japonais, les Chinois et d’autres ne pourront jamais considérer comme juste que l’incommensurable richesse en terres de l’Amérique du Nord, de l’Australie et de l’Est de l’Inde demeure la propriété exclusive de la nation anglo-saxonne, ni que les Français aient le droit de clôturer des millions de kilomètres carrés des meilleures terres comme un jardin privé.

 

 

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[1] Cf. Bentham, Grundsätze für ein zukünftiges Völkerrecht und für einen dauernden Frieden, traduit par Klatscher (Halle, 1915), pp. 100 et suivantes.

[2] Aujourd’hui de nombreuses personnes ont réussi à rendre le libéralisme responsable du déclenchement de la [Première] Guerre mondiale. Voir, à l’inverse, Berstein, Sozial-demokratsche Völkerpolitik (Leipzig, 1917), pp. 170 et suivantes, où le lien étroit entre le libre-échange et le mouvement pacifiste est signalé. Spann, adversaire du pacifisme, souligne très nettement la « détestation et l’effroi de la guerre qui caractérise de nos jours l’économie capitaliste », loc. cit., p. 137).

[3] Qui peut supporter les Gracchi quand ils se plaignent de la sédition ? (Note du traducteur)

[4] Voir Hegel, Werke, troisième édition, volume 9 (Berlin, 1848), p. 540.

[5] On pourrait se demander en quoi consiste dès lors véritablement la distinction entre le pacifisme et le militarisme, puisque le pacifiste, lui aussi, n’est pas au fond en faveur du maintien de la paix à tout prix ; en fait, il préfère plutôt la guerre sous certaines conditions mais uniquement en vue de restaurer une situation déterminée qu’il considère souhaitable. Les deux s’opposent, pense-t-on par conséquent, à la vie absolue en renonçant à la passivité que proclame l’Évangile et que pratiquent de nombreuses sectes chrétiennes ; il n’existerait entre les deux qu’une différence de degré. En réalité, cependant, la différence est si grande qu’elle devient fondamentale. Elle réside d’une part dans l’estimation de la taille et de la difficulté de l’obstacle nous séparant de la paix et d’autre part dans l’évaluation des inconvénients liés au conflit. Le pacifisme croit que nous ne sommes empêchés d’atteindre la paix éternelle que par une mince cloison dont la suppression conduirait immédiatement à la paix, alors que le militarisme se fixe des buts tellement éloignés que leur réalisation dans un futur prévisible est impossible à envisager, de sorte qu’une longue période de guerres nous attend encore. Le libéralisme croit que la paix éternelle ne pourrait être instaurée de façon durable que par l’abolition de l’absolutisme princier. Le militarisme allemand, au contraire, disait clairement que la réalisation et le maintien de la suprématie allemande recherchée impliqueraient des guerres continuelles pendant longtemps. En outre, le pacifisme fait toujours attention aux dommages et aux inconvénients de la guerre alors que le militarisme les considère toujours à la légère. C’est de là que vient la franche préférence que l’on trouve dans le pacifisme en faveur de l’état de paix et la glorification constante par le militarisme de la guerre et de sa variante socialiste, la révolution. Il est possible de trouver une autre distinction fondamentale entre pacifisme et militarisme dans leurs théories du pouvoir. Le militarisme considère que la base de la souveraineté est dans le pouvoir de la matière (Lassalle, Lasson), le libéralisme qu’il se trouve dans le pouvoir de l’esprit (Hume).

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